Poème de Victor Hugo sur des mal-aimées
J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,
Parce qu'on les hait;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait;
Parce qu'on les hait;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait;
Parce qu'elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants;
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet-apens;
Noirs êtres rampants;
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet-apens;
Parce qu'elles sont prises dans leur œuvre ;
O sort! fatals nœuds !
Parce que l'ortie est une couleuvre,
L'araignée un gueux;
O sort! fatals nœuds !
Parce que l'ortie est une couleuvre,
L'araignée un gueux;
Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,
Parce qu'on les fuit,
Parce qu'elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.
Parce qu'on les fuit,
Parce qu'elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.
Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh! plaignez le mal!
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh! plaignez le mal!
Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie
De les écraser,
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie
De les écraser,
Pour peu qu'on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
Murmurent: Amour!
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
Murmurent: Amour!
1842.
Commentaire littéraire
Introduction
Dans ce poème des Contemplations qui fait alterner décasyllabes et pentasyllabes, sur un rythme enjoué, Victor Hugo, dans sa défense et revalorisation des exclus, déclare son affection pour des animaux et végétaux symboliques, qui cristallisent des phobies, notamment l'araignée et l'ortie mentionnées dès le premier vers. Mais l'enjeu argumentatif va plus loin, et derrière "La vilaine bête et la mauvaise herbe", tels que des préjugés sociaux les définissent, c'est le proscrit humain qui est l'objet de ce plaidoyer.
Ce poème se scinde en deux parties nettes, suivant la structure syntaxique : les 4 premiers quatrains justifient la déclaration d'amour du JE poétique (= Hugo) par 10 subordonnées causales introduites par l'anaphore "(parce) que" ; les 3 derniers quatrains attirent la compassion des "passants", ces témoins oculaires des exclus, et recourent cette fois à des subordonnées d'hypothèse.
1) Les raisons de la revalorisation
Cherchons donc à expliciter tous les motifs que donne le poète à leur marginalisation (qu'il combat) :
- "on les hait" : généralisation par le pronom indéfini ; la thèse du poète est clairement posée dès le début : il veut contredire le préjugé négatif
- "rien n'exauce et tout châtie / Leur morne souhait" : mise en relief du COD possessif par l'enjambement. Il y a ici personnification par la volonté supposée. Du fait que leur désir (celui d'être enfin aimées ?...) est contrarié (d'où le côté morne), le poète se pose en justicier qui dénonce cette privation
- "maudites" : injustice de leur réputation
- "chétives" : pitié devant leur faiblesse
- "elles sont les tristes captives / De leur guet-apens" : mise en relief du compl. du nom, possessif, par l'enjambement. La nuisance de leur piqûre/brûlure est un piège pour elles-mêmes d'abord, puisqu'elles sont prisonnières et "toutes deux victimes" (comme il est dit au Qu4) de leur réputation ; ce qui est paraphrasé par "elles sont prises dans leur œuvre ; O sort! fatals nœuds!" : comme elles sont arrachées ou écrasées, cela prouve que leur "agressivité" pour l'homme se retourne contre elles.
- On avait la métaphore étrange "Noirs êtres rampants", la noirceur se laissant interpréter au figuré par rapport à "maudites" ; et voilà que le reptile revient avec "l'ortie est une couleuvre", ce qui est surprenant, car le lecteur se serait attendu à ce que ce soit l'araignée le comparé... "couleuvre" et non vipère, pour signifier que l'urtication n'est pas venimeuse.
- "L'araignée un gueux" : personnification qui rappelle que le recueil contient le poème "Le Mendiant", toujours sur le thème de la revalorisation des exclus sociaux, selon l'engagement poétique - voire politique - bien connu chez Hugo. Lequel ne pouvait pas dire "une gueuse" pour éviter l'acception de "prostituée" ; ce côté gueux de l'araignée s'explique aussi peut-être par sa pauvre toile trouée...
- Le quatrain suivant, avec "l'ombre des abîmes" paraphrasée par "la sombre nuit", confirme cette noirceur de "maudites" et la peur superstitieuse qui les entoure, ce qui explique "qu'on les fuit".
- "rien n'exauce et tout châtie / Leur morne souhait" : mise en relief du COD possessif par l'enjambement. Il y a ici personnification par la volonté supposée. Du fait que leur désir (celui d'être enfin aimées ?...) est contrarié (d'où le côté morne), le poète se pose en justicier qui dénonce cette privation
- "maudites" : injustice de leur réputation
- "chétives" : pitié devant leur faiblesse
- "elles sont les tristes captives / De leur guet-apens" : mise en relief du compl. du nom, possessif, par l'enjambement. La nuisance de leur piqûre/brûlure est un piège pour elles-mêmes d'abord, puisqu'elles sont prisonnières et "toutes deux victimes" (comme il est dit au Qu4) de leur réputation ; ce qui est paraphrasé par "elles sont prises dans leur œuvre ; O sort! fatals nœuds!" : comme elles sont arrachées ou écrasées, cela prouve que leur "agressivité" pour l'homme se retourne contre elles.
- On avait la métaphore étrange "Noirs êtres rampants", la noirceur se laissant interpréter au figuré par rapport à "maudites" ; et voilà que le reptile revient avec "l'ortie est une couleuvre", ce qui est surprenant, car le lecteur se serait attendu à ce que ce soit l'araignée le comparé... "couleuvre" et non vipère, pour signifier que l'urtication n'est pas venimeuse.
- "L'araignée un gueux" : personnification qui rappelle que le recueil contient le poème "Le Mendiant", toujours sur le thème de la revalorisation des exclus sociaux, selon l'engagement poétique - voire politique - bien connu chez Hugo. Lequel ne pouvait pas dire "une gueuse" pour éviter l'acception de "prostituée" ; ce côté gueux de l'araignée s'explique aussi peut-être par sa pauvre toile trouée...
- Le quatrain suivant, avec "l'ombre des abîmes" paraphrasée par "la sombre nuit", confirme cette noirceur de "maudites" et la peur superstitieuse qui les entoure, ce qui explique "qu'on les fuit".
2) L'incitation à la mansuétude, voire plus...
Inversement, après avoir mis au jour les préjugés à l'encontre de la "plante obscure" et du "pauvre animal", le poète plaide pour cette paire mal aimée.
L'anaphore de "Plaignez" 3 fois répété use de l'impératif qu'on lit dans "faites grâce à" : le lecteur est directement interpellé pour réagir devant la souffrance de ces deux êtres vivants. De même l'expressivité lyrique du "ô sort!" de déploration précédent fait ici place à un "Oh!" d'émotivité.
Le rythme ternaire de "la laideur, la piqûre, le mal" donne une valeur allégorique à la plante et l'animal : ils sont l'incarnation d'une idée, évidemment exagérée et simplificatrice.
On lisait déjà (au Qu1) l'antithèse d'affirmations catégoriques : "rien n'exauce" vs "tout châtie" ; revoici le même parallélisme de construction insistant : "Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie; tout veut un baiser." Le registre est toujours pathétique pour aller ici plus loin dans la demande aux "passants" : une marque "d'amour!" comme il est expiqué dans e tout dernier mot exclamatif du poème.
- "leur fauve horreur" renvoie aux "noirs êtres rampants", avec la phobie qu'ils déclenchent
Les deux derniers quatrains ne peuvent être dissociés puisqu'ils sont unis par la juxtaposition dans la même longue phrase de deux propositions subordonnées d'hypothèse (de souhait de la part du poète) : "pour peu qu'on oublie de les écraser, pour peu qu'on leur jette un œil moins superbe" : l'effort demandé est présenté comme minime, peu exigeant. Une modestie que reprend la prise de parole (pour la première fois) de "la vilaine bête et la mauvaise herbe" (selon les préjugés tenaces) : "Tout bas... Murmurent".
- "loin du jour" : pour survivre et faire passer leur message de tolérance, elles sont condamnées à restées cachées dans une obscurité symbolique, celle de "la sombre nuit" superstitieuse. Impossible encore pour elles de se montrer au grand jour et de hurler leur colère, sous peine de destruction.
Conclusion
L'évolution du poème montre un optimisme mesuré, celui de l'éventualité d'une écoute d'une demande d'amour, qui ferait justice à des siècles de haine obscurantiste. Ajoutons que cet appel se fait d'autant plus facilement que le choix du genre féminin, constant dans le poème, met au premier plan la féminité.
La revalorisation et la défense du "proscrit", lequel demande l'amour, fait songer à un autre genre où s'est illustré Hugo, le drame romantique avec Hernani (qui déclencha la fameuse bataille de 1830), "banni" par Don Carlos, aimé de Doña Sol, maudit par Don Ruy Gomez. Mais la mort empoisonnée du héros éponyme laisse moins d'espérance que notre poème où la paire toxique a encore une chance...
Par ailleurs, La Fontaine défendait la chauve-souris a priori péjorative, dans l'une de ses Fables.
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Quel rapport avec ce poème de Jacques Prévert "Etranges étrangers" (1951)
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes de pays loin
cobayes des colonies
doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d'Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polaks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue
soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d'une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés
Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d'or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd'hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez, même si vous en mourez.